1. Pouvez-vous vous présenter et nous dire qui vous êtes ?

Anne-Claire : J’ai mené un stage au Cerema en 2012 suite à ma formation d’ingénieur en travaux publics de l’Etat avant de prendre mon poste au Cerema en 2013. Ma formation initiale est une formation d’ingénieur de l‘aménagement axée sur l’environnement, les cours d’eau et le littoral. Cela m’a peu à peu amené à travailler sur la Biodiversité, depuis 4 ans maintenant. Je viens compléter le travail de Florian.

Florian : Pour ma part, je suis arrivé au Cerema en 2009. Passionné par la nature et l’écologie, j’ai d’abord durant mon parcours étudiant à l’Université de Metz, étudié l’écologie et l’aménagement du territoire durant ma maîtrise, puis j’ai étudié les risques naturels en M2. Je trouvais très pertinent d’étudier à la fois l’aménagement et l’environnement qui sont tous deux interconnectés. Je me suis ensuite rapproché des risques naturels pour compléter mon profil, les risques étant souvent liés à l’aménagement du territoire.

Anne-Claire DE ROUCK
Florian FOURNIER
2. Quelles sont vos missions et enjeux dans votre poste (relatifs ou non aux EEE) ?

Anne-Claire : Je suis actuellement chargée d’étude Biodiversité et aménagement du territoire au Cerema Hauts-de-France. Le Cerema traite tous les enjeux du Ministère en écologie et en particulier tous les enjeux qui ont trait à l’aménagement du territoire : transport, environnement, risques… Nous travaillons sur les continuités écologiques en prenant en compte l’impact des infrastructures de transport sur la biodiversité, ceci incluant la thématique des EEE.

Florian : Je suis actuellement chargé d’études Biodiversité et aménagement. Je travaille sur les EEE depuis 2011. Hormis cette thématique, je travaille également beaucoup sur les continuités écologiques et sur l’impact de l’aménagement sur celles-ci et de façon moindre sur les solutions fondées sur la nature. Si notre territoire privilégié d’action est la région Hauts-de-France, nous pouvons aussi être interpellés sur tout le territoire national en fonction de nos compétences spécifiques. On peut ainsi travailler en réseau avec les autres antennes du Cerema. On échange nos méthodes, nos connaissances, c’est toujours enrichissant et nous permet de monter en compétence. A titre d’exemple, un guide sur les EEE et les infrastructures est en cours de finition piloté par un collègue à Nantes en collaboration avec des collègues de Lyon et nous de Lille.

3. Comment, pourquoi et quand la problématique des EEE s’est-elle insérée dans vos missions ?

Florian : Nous avons commencé à travailler sur les EEE en 2011 suite à une sollicitation du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire pour faire un focus sur certaines espèces émergentes. Nous avons par la suite eu des échanges avec la DIR Nord, car ils organisaient des ateliers thématiques et périodiques sur des questions environnementales. Lors d’un de ces ateliers, nous avons présenté la thématique EEE et notamment les principales espèces, les principaux enjeux, les principes de prévention… Suite à cette présentation, la DIR Nord a souhaité aller plus loin sur le sujet comprenant les enjeux et nous avons commencé à rédiger des fiches d’identification d’EEE pour eux, puis des notes bibliographiques pour les acculturer sur le sujet et nous les avons accompagnés dans le développement d’expérimentations de lutte et ce depuis 2015 (bâchage, éco-pâturage, traitement par huile essentielle de Cèdre). Nous avons élaboré systématiquement des protocoles rigoureux qui prenaient en compte les contraintes liées à leurs missions. Et ce jusqu’à aujourd’hui. En 2018, un projet sur la faisabilité de la méthanisation de la Renouée par un gestionnaire d’infrastructures de transport avait été déposé à l’AEAP. C’est à ce moment-là qu’Anne-Claire a commencé à travailler sur le sujet.
Nous avons aussi travaillé sur des études sur la méthanisation et ses potentialités pour VNF et la DIR, sur les terres végétales infestées par les EEE sur demande de la DREAL, et notamment sur les pratiques pour éviter la propagation des espèces sur le chantier et pour décontaminer les terres.

Anne-Claire : Comme c’est un sujet sur lequel nous avons été sensibilisés, c’est un sujet que nous avons intégré dans nos études sur les continuités écologiques et on a sensibilisé nos collègues sur la thématique.

Florian : On a ainsi fait inclure dans les cahiers des charges de la DREAL Hauts de France un paragraphe dédié aux EEE dans les études bioévaluation depuis 2014.

Suivi de renouées asiatiques
Suivi de renouées asiatiques
4. Aviez-vous déjà travaillé sur les EEE ? Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette thématique ou ce poste ?

Florian : Non, jamais. C’est un sujet transversal que l’on retrouve dans toutes les composantes de projets quand on travaille dans le domaine de la biodiversité et comme par principe, on tient toujours à la protéger, quand nous avons pris connaissance de l’impact que pouvaient avoir les EEE et de l’enjeu qu’elles représentaient, nous ne pouvions pas l’ignorer.

Anne-Claire : Je n’avais jamais travaillé sur les EEE. Pour compléter les propos de Florian, nous travaillons aussi avec les acteurs du ministère qui ont des enjeux et des besoins ainsi que des contraintes financières et réglementaires et qui nous ont sollicités. Nous nous sommes emparés de la thématique en nous rendant compte de son importance.

5. Travaillez-vous sur les EEE animales, végétales, les 2 ou sur certaines espèces en particulier ?

Anne-Claire : Nous travaillons essentiellement sur les espèces végétales, mais dans certaines situations il est arrivé que l’on travaille sur certaines espèces animales. Nous menons des suivis moyens et grands mammifères, donc nous pouvons observer de temps en temps des bernaches, des ratons-laveurs, des ragondins… Dans ces situations, nous informons le service commanditaire (DREAL, DIR, etc.) sur les pratiques et règles à respecter et nous rentrons les données dans les bases de données régionales. Cela dit, une collègue a travaillé sur un bivalve exotique envahissant.

Florian : Les animaux sont en effet plus compliqués à gérer du fait de leur mobilité, donc nous sommes plus amenés effectivement à travailler sur les végétaux que sur la faune. Il y aurait des potentialités sur la faune aquatique, mais nous avons des difficultés à trouver du temps pour le faire.

Anne-Claire : Ce n’est pas forcément non plus un enjeu pour le Cerema mis à part pour le ragondin et le rat musqué mais la Fredon étant compétente sur le sujet… 

6. Vos missions vous permettent-elles de côtoyer d’autres acteurs régionaux impliqués sur la thématique ? Si oui, lesquels ?

Anne-Claire : Tous les gestionnaires d’infrastructures de transport, la maîtrise d’ouvrage de la DREAL, la SNCF réseaux, VNF et de temps en temps les compagnies d’autoroute. En somme, tous les acteurs de l’aménagement du territoire.

Florian : Certaines collectivités et syndicats de gestion des eaux également.

7. Qu’appréciez-vous le plus dans le fait de travailler sur la thématique des EEE ? Qu’est-ce qui vous semble au contraire difficile ou désagréable ?

Florian : La difficulté avec les EEE, c’est que bien souvent nous arrivons quand il est déjà trop tard. L’évolution permanente du contexte est aussi un élément perturbateur. Les connaissances évoluent rapidement, les plantes et espèces évoluent rapidement, de nouvelles espèces s’installent rapidement, il faut donc être dynamique et en éveil en permanence.

Anne-Claire : L’intérêt et l’inconvénient est le même, c’est le réseau. C’est très intéressant parce que ça permet d’apprendre tout le temps et de partout, d’échanger, de développer des projets innovants, mais en même temps c’est compliqué d’obtenir l’information car elle est forcément parcellaire.

Florian : Le réflexe devrait pourtant être pour le gestionnaire de sensibiliser ses voisins sur ce qu’il fait et pourquoi il le fait, de prévenir. Ceci éviterait que chacun fasse des choses dans son coin, au risque de le faire pour rien si la démarche n’est pas partagée, voire de réinventer des choses existantes (voire erreurs déjà faites par un autre gestionnaire). Il y a un réel besoin de partage de l’information entre gestionnaires et d’une lutte conjointe dans le cadre d’une stratégie bien cadrée.

8. Parlez-nous d’un projet relatif aux EEE sur lequel vous travaillez actuellement ou que vous prévoyez de mener dans les semaines ou mois à venir ?

Anne-Claire : Je peux présenter la cartographie des interventions de gestion des EEE. L’idée était de développer une cartographie qui puisse aider les collectivités à prioriser leurs opérations de gestion. Comme il y a peu de recherche scientifique sur le EEE et que le peu de REX disponible est difficilement accessible, on a pensé que ça pouvait être un outil pertinent.

Florian : Nous avions aussi déjà fait un travail similaire sur les rex de rétablissement de trames vertes et bleues, donc nous avons pensé qu’il serait intéressant d’appliquer ce même travail sur les EEE. Quand Anne-Claire a proposé ce travail à l’Agence de l’eau Artois Picardie, elle y a été très favorable car cela permet entres autres aux collectivités de valoriser leur expérience.

Anne-Claire : Nous avons donc proposé ce projet sur les EEE. Dans un premier temps, il a fallu établir une liste d’espèces exotiques envahissantes et rédiger une enquête. Pour cela, nous avons utilisé la littérature mais aussi l’aide des acteurs locaux comme Picardie Nature et le CBNBl. Nous avons ensuite envoyé l’enquête aux acteurs du territoire pour collecter leurs retours d’expérience. Si l’idée est de 2018, le montage date de 2019 et le début du projet n’a réellement commencé qu’en 2020. Nous avons commencé le projet environ 2 ans avant de le mettre en œuvre et deux stagiaires de 6 mois ont travaillé dessus. Le projet dans son état actuel devrait aboutir en fin d’année ou début 2022. Il sera mis en ligne sous sa version beta et aura un accès via le Centre de ressources EEE Hauts-de-France. Il sera retravaillé par la suite dans le cadre d’un groupe de travail pour prendre en compte toutes les contraintes des acteurs. A la fin de l’année 2022, l’outil de collecte de données aura été affiné et sera plus ergonomique.

9. Racontez-nous une expérience ou un élément qui vous a marqué en lien avec les EEE ?

Anne-Claire : Ce qui me marque c’est de voir, dans ma vie personnelle, des arbres à papillons et de l’herbe à pampa dans les jardins de mes proches et de voir la méconnaissance globale du grand public.

Florian : Il y a assez peu de gens qui comprennent et connaissent la thématique et il y a aussi le paradoxe avec le fait de trouver des plantes exotiques envahissantes toujours en vente. Ce qui me fait toujours sourire et continue de me surprendre, c’est lorsque je réalise le suivi d’écopâturage caprin pour la DIR Nord et observe la vraie appétence des chèvres rustiques pour la Renouée. La chèvre a tous les côtés positifs : elle élimine la plante, évite la gestion d’un déchet et en plus elle est un véritable vecteur de communication avec son capital sympathie qui fait que les gens s’intéressent au pourquoi les chèvres sont là. D’ailleurs au début de l’écopâturage, des lecteurs de la Voix du Nord s’étaient indignés pour les chèvres, comme quoi c’était inacceptable de faire travailler des animaux en bord d’autoroute, qu’il y avait sûrement des risques d’intoxication voir de cancers liés à la pollution, etc. L’éleveur avait dû rédiger un droit de réponse pour informer qu’il n’en était rien et que les chèvres disposaient d’un suivi vétérinaire régulier.

10. Si vous deviez vous identifier à une EEE, laquelle choisiriez-vous et pourquoi ?

Anne-Claire : La Bernache du Canada. Je ne m’y identifie pas forcément, mais c’est une de celles qui me fait le plus réfléchir sur le sujet. Elle est assez jolie, très présente, n’a pas un comportement agressif ni gênant vis-à-vis des humains. On peut s’y attacher et commencer à réfléchir au niveau de l’individu et non de l’espèce, comme on pourrait le faire pour d’autres espèces plus familières. Et dans ce cas, pourquoi éliminer ou prélever des individus juste parce que leur espèce fait de la concurrence à d’autres, est-ce que ce n’est pas l’évolution normale de tous les écosystèmes ? Ça soulève des questions d’éthique ou anti-spécistes qui font souvent surface lors de la réflexion sur les EEE animales.

Florian : Ce qui est génial c’est qu’elles soient suffisamment évoluées pour résister et s’adapter à toutes les contraintes. C’est une caractéristique que je trouve admirable, même si c’est la cause du problème. J’aime beaucoup le caractère indestructible de la renouée et sa capacité à partir de presque rien et à coloniser de vastes espaces. Mais pour sa mine sympathique, parce qu’il s’adapte à beaucoup de situations, fait preuve d’opportunisme et se déplace aussi bien dans les arbres qu’au sol tout en étant habile de ses pattes, je dirais le raton laveur.

11. Pour conclure, concernant les EEE, quel est votre mot d’ordre ou philosophie ?

Anne-Claire : La sensibilisation, plus on va informer le grand public et plus les choses vont bouger et évoluer.

Florian : La communication est le maître mot. Il faut trouver les bons leviers de communication pour toucher le grand public. Rien qu’une application de jeu sur les EEE pourrait avoir un impact important. Ce serait gagnant-gagnant. Il faut se mettre à la place des gens et se demander ce qui peut les interpeller pour communiquer via les bons canaux (série, mini sketch, bd, applications etc.) pour qu’ils se saisissent de l’enjeu. Il faut intégrer les EEE dans la vie quotidienne des gens (de tous niveaux sociaux et professionnels) et que ça ne reste pas uniquement dans les sphères professionnelles ou des gens sensibilisés. Sinon, comme pour la préservation de la biodiversité rien ne bougera.

Entretien réalisé par Marie ANGOT le 26 novembre 2021 en la présence d’Anne-Claire DE ROUCK et Florian FOURNIER.
Relecture
: Anne-Claire DE ROUCK & Florian FOURNIER.
Mis en ligne le  04 février 2022.

CONTACTS
Anne-Claire DE ROUCK
anne-claire.de-rouck@cerema.fr

Florian FOURNIER
florian.fournier@cerema.fr