Une espèce exotique envahissante est définie par la Convention sur la diversité biologique, le Parlement européen et le Conseil de l’Europe, conformément aux définitions de l’UICN comme une espèce introduite par l’homme en dehors de son aire de répartition naturelle (volontairement ou fortuitement) et dont l’implantation et la propagation menacent les écosystèmes, les habitats ou les espèces indigènes avec des conséquences écologiques et/ou économiques et/ou sanitaires négatives. La présence d’EEE augmente le risque d’extinction et peut affecter la génétique des populations, modifier le fonctionnement des réseaux trophiques ou encore altérer la productivité des écosystèmes (Pyšek et al., 2020). L’IPBES cite les espèces exotiques envahissantes comme étant la 5ème cause de changement qui affecte la nature et dont les impacts sont les plus importants à l’échelle mondiale. Selon Blackburn et al. (2019), les EEE contribuent à l’extinction de 25% des plantes et 33% de la faune terrestre et d’eau douce. Les impacts des EEE ne se limitent pas à la biodiversité et peuvent aussi affecter le bien-être et la santé humaine. Les espèces invasives sont aussi des vecteurs de maladies qui peuvent être transmissible à l’Homme, comme la dengue portée par le moustique Aedes aegypti (Brady & Hay, 2020; Hulme, 2014).

Le nombre d’introduction d’espèces exotiques est en hausse constante depuis 200 ans, 37% des EEE se sont établies récemment, entre 1970 et 2014 (Pyšek et al., 2020).

En France, une stratégie nationale relative aux espèces exotiques envahissantes a été publié en mars 2017[1]. Cette stratégie apporte un cadre national pour les EEE. Elle vise à préserver les écosystèmes et la biodiversité autochtone en réfrénant les introductions d’espèces exotiques, à impacts négatifs potentiels ou avérés, et en limitant les effets des espèces déjà présentes sur le territoire. Cette stratégie nationale s’articule en 5 axes : prévenir l’introduction et la propagation des EEE, gérer ces espèces et restaurer les écosystèmes, améliorer et mutualiser les connaissances, communiquer, sensibiliser, mobiliser et former sur les EEE et enfin coordonner les différents acteurs de cette stratégie. Douze objectifs et 38 actions ont été établis autour de ces 5 axes.  L’identification et la hiérarchisation des espèces exotiques envahissantes est un objectif de cette stratégie nationale. La hiérarchisation vise à permettre la priorisation d’actions de gestion des espèces exotiques envahissantes sur la base de l’évaluation de leurs impacts à la fois économiques, écologiques et sanitaires. Afin de prendre en compte les disparités régionales sur les espèces, leurs impacts et notre connaissance de celles-ci, des hiérarchisations sont entreprises dans les régions. Ces hiérarchisations régionales permettront de mener des actions plus ciblées et de mettre en adéquation les moyens de lutte avec les problématiques de chaque région.

Coccinelle asiatique ©Jean-Luc Hercent
Coccinelle asiatique ©Jean-Luc Hercent

Le Conservatoire d’espaces naturels Hauts-de-France a été chargé de hiérarchiser les espèces exotiques envahissantes animales présentes dans la région. La hiérarchisation de ces espèces permettra de classer les taxons en fonction de leurs impacts. Ce travail aidera à sélectionner les actions de gestion prioritaires en déterminant les espèces les plus préoccupantes en région. La mise en place d’un protocole de priorisation des actions de gestion pourra ainsi succéder à la hiérarchisation afin de prioriser les interventions sur lesquelles plus de temps et de moyens seront investis.

C’est dans ce cadre que j’ai été recrutée en tant que stagiaire pour travailler sur la hiérarchisation des espèces exotiques envahissantes animales au Conservatoire d’espaces naturels Hauts-de-France.

Avant de commencer la hiérarchisation des espèces exotiques envahissantes dans la région, il m’a fallu tout d’abord définir quelles espèces sont introduites. J’ai effectué un premier tri pour ne garder que les espèces définies par l’INPN comme introduites, introduites envahissantes, introduites non établies (qui correspond aux espèces domestiques), et cryptogènes[2]. J’ai ainsi obtenu une première liste de 91 espèces. Le deuxième tri a ensuite pu commencer.

Pour s’assurer que les 91 espèces de la première liste soit introduites et autonomes sur le territoire, un second filtre est appliqué. Un questionnaire tiré de la Méthodologie pour l’élaboration de la stratégie régionale relative aux espèces animales exotiques envahissantes en Provence-Alpes-Côte d’Azur, m’a permis de définir pour chaque espèce un statut d’indigénat (: est-ce que l’espèce est bien introduite après la date de référence ?) et un degré d’autonomie (: est-ce que l’espèce se reproduit et produit une population viable sur plusieurs générations ?). Pour répondre aux 9 questions, j’ai consulté la bibliographie disponible et les bases de données régionales, ainsi que les experts régionaux. Pour définir si une espèce est introduite ou non, il faut fixer un cadre spatial et temporel. Le cadre spatial correspond à la région des Hauts-de-France. La date de référence a été fixée à 1850 pour les vertébrés. Cette date correspond à l’intensification des échanges internationaux. Pour les invertébrés, la date de référence utilisée sera 1950, date à laquelle les connaissances sur ce groupe taxonomique augmentent. Pour les invertébrés, la date de référence n’est pas stricte et si des preuves scientifiques permettent de définir et dater l’introduction d’un taxon, même avant la date de référence, alors celui-ci sera considéré comme exotique. Un taxon introduit avant la date de référence sera considéré comme autochtone, à l’inverse un taxon introduit après la date de référence sera considéré comme exotique.

Seules les espèces introduites après la date de référence et établies sur la région Hauts-de-France seront ensuite hiérarchisées. Après ces 2 étapes de tri, la hiérarchisation à proprement parler peut commencer. Les méthodes EICAT (Environnemental Impact Classification of Alien Taxa) et SEICAT (Socio-Economic Impact Classification of Alien Taxa) ont été choisis afin de classer les espèces en fonction de leurs impacts négatifs. La méthode EICAT se concentre sur les impacts environnementaux et est un standard UICN tandis que la méthode SEICAT ciblant les impacts sociaux et économiques, est encore en cours d’élaboration. Dans un premier temps, seule la méthode EICAT sera mise en place en région.

La méthode EICAT ne prend en compte que les impacts environnementaux négatifs et classe les espèces selon l’impact le plus sévère documenté dans les régions où les espèces ont été introduites. Cette classification se base sur l’ensemble des données disponibles. Pour chaque espèce à hiérarchiser, j’examinerais l’ensemble de la bibliographie qui recense les impacts environnementaux de l’espèce à l’échelle de la région Hauts-de-France. J’attribuerais pour chaque impact trouvé une catégorie d’impact en fonction de sa sévérité. Le protocole EICAT décrit 8 catégories dont 5 décrivent des niveaux d’impact – préoccupation minimale (MC), faible (MN), modéré (MO), majeur (MR) et critique (MV) – et 3 identifient les taxons non évalués (NE), indigènes (NA) et sur lesquels l’absence de données (DD) prévient la catégorisation. Si je ne trouve aucune bibliographie pour une espèce à l’échelle des Hauts-de-France, je serais amenée à solliciter les experts. Je pourrais aussi demander leur avis pour effectuer une vérification des classifications et s’assurer que j’ai bien attribué la bonne catégorie d’impact.

Diagramme issu du document Guidelines for using the IUCN Environmental Impact Classification for Alien Taxa (EICAT) Categories and Criteria. Version 1.1.

Concernant les espèces exotiques envahissantes végétales, la démarche de hiérarchisation a été lancée en 2020, avec le Conservatoire Botanique National de Bailleul comme structure pilote.

Article rédigé par Maëlle Bourdon


[1] http://uicn.fr/wp-content/uploads/2017/03/strategie-nationale-eee-version-finale-17-3-2017.pdf

[2] Espèces dont l’origine est inconnue.


Bibliographie

Blackburn, T. M., Bellard, C., & Ricciardi, A. (2019). Alien versus native species as drivers of recent extinctions. Frontiers in Ecology and the Environment, 17(4), 203‑207. https://doi.org/10.1002/fee.2020

Brady, O. J., & Hay, S. I. (2020). The Global Expansion of Dengue : How Aedes aegypti Mosquitoes Enabled the First Pandemic Arbovirus. Annual Review of Entomology, 65, 191‑208. https://doi.org/10.1146/annurev-ento-011019-024918

Hulme, P. E. (2014). Invasive species challenge the global response to emerging diseases. Trends in Parasitology, 30(6), 267‑270. https://doi.org/10.1016/j.pt.2014.03.005

Pyšek, P., Hulme, P. E., Simberloff, D., Bacher, S., Blackburn, T. M., Carlton, J. T., Dawson, W., Essl, F., Foxcroft, L. C., Genovesi, P., Jeschke, J. M., Kühn, I., Liebhold, A. M., Mandrak, N. E., Meyerson, L. A., Pauchard, A., Pergl, J., Roy, H. E., Seebens, H., … Richardson, D. M. (2020). Scientists’ warning on invasive alien species. Biological Reviews, 95(6), 1511‑1534. https://doi.org/10.1111/brv.12627