Paru en mai 2019, le rapport de la Plateforme Intergouvernementale sur le Biodiversité et les Services Écosystémiques (IPBES), fait le constat alarmant du déclin global de la nature, à un rythme sans précédent dans l’histoire de l’humanité [1]. 5 causes majeures sont alors identifiées. Parmi elles, les espèces exotiques envahissantes.

Selon les définitions de la Convention sur la diversité biologique, de l’UICN et du Parlement européen, une espèce exotique envahissante est une espèce transportée par l’homme hors de son aire de répartition naturelle, dont la reproduction, l’implantation et la propagation menacent les écosystèmes et espèces indigènes et ont des impacts écologiques et/ou économiques et/ou sanitaires négatifs.

C’est un taxon (espèce, sous-espèce…) appartenant au règne du vivant [2]. Il peut en cela s’agir d’un animal, végétal, champignon ou même bactérie ou virus.

Parlons chiffres

Europe

Environ 14,000 espèces introduites ont été recensées en Europe [3] dont au moins 1500 sont avérées envahissantes [4]. 66 sont inscrites sur la liste européenne des espèces prioritaires représentant une menace considérable à la biodiversité et écosystèmes de l’Europe.

66 
espèces prioritaires sont inscrites sur la liste européenne

Afin de prévenir, de réduire et de limiter leurs impacts néfastes sur la biodiversité, ces espèces font l’objet de mesures et de restrictions définies dans le Règlement (EU) 1143/2014 relatives à leur importation, vente, élevage, détention et culture. Ainsi les États membres doivent donc prendre toutes les mesures nécessaires de prévention, d’intervention et de gestion des EEE sur leur territoire.

France

En 2009, la France est considérée comme l’un des pays européens accueillant le plus grand nombre d’espèces introduites pour la majorité des groupes biologiques (DAISIE, 2009). Plus de 1700 espèces introduites en France ont été comptabilisées à ce jour par l’outil GRIIS (Global Register of Introduced and Invasive Species). En 2020, l’Inventaire national du patrimoine naturel (INPN) recense 548 espèces exotiques envahissantes en France métropolitaine et outre-mer [6].

Oiseaux
0
Mammifères
0
Poissons
0
Amphibiens
0
Reptiles
0
Mollusques
0
Crustacés
0
Insectes
0
Plantes, mousses & fougères
0
Autres groupes
0

Parmi elles, près de 400 espèces ont été observées dans les territoires d’Outre-mer (UICN France 2017 – base de données sur les espèces exotiques envahissantes en outre-mer).

Hauts-de-France

Il existe 31 espèces exotiques envahissantes réglementées UE en Hauts-de-France. Cependant, sur le même territoire, on dénombre 40 espèces envahissantes de plantes vasculaires non indigènes non réglementées [5]. Le nombre « réel » d’espèces invasives présentes en région doit donc être considéré avec précaution.

Découvre les espèces

Propagation des espèces exotiques envahissantes

Les déplacements d’organismes, marins comme terrestres, existent depuis des milliers d’années avec et sans la main de l’homme. Une étude récente a ainsi démontré que la mye des sables (Mya arenaria), fut importée dans les eaux européennes entre le 13ème et le 15ème siècle après que les Vikings aient découvert l’Amérique [7]. La mye des sables est aujourd’hui une espèce répandue dans l’Europe du Nord.

Le transport d’organismes vivants commença donc bien avant que la notion même d’espèces exotiques envahissantes naissent. Cependant, la vitesse et le volume des espèces transportées n’ont jamais été aussi élevés. Avec l’essor du commerce et des flux à travers le monde, les déplacements d’espèces augmentent et deviennent difficiles à contrôler.

Il fut ainsi prouvé que le nombre d’espèces exotiques envahissantes dans un pays donné est lié à son ouverture sur l’international. Plus les échanges internationaux sont favorisés, notamment l’importation de marchandises, et plus les processus d’introduction sont élevés [8]. Une estimation évalue ainsi à 7000 le nombre d’espèces transportées, chaque jour, dans les eaux de ballast [9].

La mondialisation croissante constitue une voie majeure d’introduction des espèces exotiques. De nombreux vecteurs d’introduction, accidentels ou non, ont été identifiés [10] :

  • Flux de marchandises (espèces importées via les produits alimentaires, matériaux non traités, containers, matériels biologiques)
  • Flux sociaux
  • Flux aériens, maritimes et terrestres (eau de ballast…)
  • Agriculture et foresterie (plantations ou élevage d’espèces exotiques, introduction non intentionnelle de maladie ou de ravageurs)
  • Horticulture (dispersion de propagules/d’individus à partir des jardins, mares…)
  • Restauration d’habitats et paysagisme (utilisation de plantes exotiques…)
  • Développement et aménagement du territoire (transferts d’espèces)
  • Aquaculture et pisciculture (poissons, mollusques et crustacés introduits pour leur production)
  • Chasse et pêche (espèces introduites comme appâts ou renforcement de populations)
  • Relâchement d’animaux domestiques dans le milieu naturel

De l’exotisme à l’envahissant

Toute espèce exotique introduite ne devient pas systématiquement envahissante. En effet, le maïs ou encore la tomate sont des espèces originaires d’Amérique introduites en Europe au XVIème siècle qui constituent aujourd’hui des denrées de base de notre régime alimentaire [11]. Un certain nombre de paramètres inhérents à l’espèce [12] doivent ainsi être réunies pour révéler le caractère invasif de l’espèce.

Des études et observations ont ainsi montré que les espèces invasives possèdent des caractéristiques qui les avantagent par rapport aux espèces indigènes et leur permettent d’impacter leur nouvel environnement. Ces espèces ont ainsi souvent une croissance rapide, un court cycle de vie, une reproduction prolifique ou une forte tolérance de conditions environnementales extrêmes. Ces traits biologiques et physiologiques favorisent leur colonisation et déséquilibrent les dynamiques existantes entre les composantes d’un écosystème favorisant ainsi l’émergence de nouveaux écosystèmes.

Certaines conditions environnementales aussi sont propices à la propagation des EEE. L’absence de prédateurs en est un exemple. Il existe, entre chaque prédateur et ses proies, une dynamique évolutive qui rend la prédation, et parallèlement son évitement, possible. Une proie va ainsi évoluer et développer des stratégies anti-prédation afin de se protéger des attaques [13]. A ce titre, une espèce nouvellement introduite peut ne pas être soumise à une pression de prédation.

Une autre possibilité étant que les espèces prédatrices préfèrent espèces indigènes car plus facile à chasser et/ou de valeur nutritive plus élevée [14].

D’autre part, la gravité des impacts liés aux espèces invasives réside dans la fragilité des milieux. Le changement climatique, la destruction des habitats, la pollution… sont autant de causes graves de perte de biodiversité qui, par leurs effets conjoints, démultiplient leur dangerosité et leurs conséquences et sont des facteurs favorables à l’installation des EEE.

Les espèces exotiques envahissantes, identifiées comme la troisième cause de l’effondrement de la biodiversité mondiale, constituent la menace la plus répandue pour les amphibiens, reptiles et mammifères inscrits sur la Liste Rouge des espèces menacées de l’UICN.

Toute espèce introduite ne devient donc pas envahissante. Une règle, établi en 1996, prédit la probabilité d’une espèce introduite devienne envahissante [15]&[15b]. Cette règle, dite des 10 % (ou règle des 3 x 10), énonce que parmi les espèces transportées hors de leur aire de répartition, seules 10 % s’y introduisent. 10 % de ces espèces introduites réussiront à s’établir. Enfin, seules 10 % de ces espèces établies deviendront envahissantes. Sur 1000 espèces transportées, seule une deviendra donc envahissante.

Les enjeux écologiqueséconomiquessanitaires

La part élevée de la destruction de la biodiversité par les espèces exotiques envahissantes s’explique en partie par leur grande diversité. On recense des espèces exotiques envahissantes dans chaque groupe taxonomique, cela implique donc que les impacts sont susceptibles d’être très variés et d’affecter un grand nombre d’espèces, animales comme végétales. La difficulté à organiser la lutte est d’autant plus complexe que les milieux et habitats touchés possèdent des caractéristiques, une biodiversité, une fragilité et une sensibilité propres qui requièrent des mesures spécifiques et adaptées. Les milieux insulaires en sont des cas concrets. En effet, les caractéristiques d’une île (surface limitée, isolement) accroît le degré de vulnérabilité de sa biodiversité indigène souvent endémique.

La gestion des espèces invasives en Outre-mer  est une problématique d’une grande complexité. Les enjeux sont d’autant majeurs que 84 % de la biodiversité endémique française se situe dans les outre-mer quand 70% des espèces exotiques envahissantes y sont aussi présentes [6]. Un premier programme d’action spécifique fut donc établi en 2005 et actualisé depuis.

Générant des conséquences écologiques, économiques et sanitaires négatives, les enjeux liés à la prévention de l’introduction et à la gestion des espèces exotiques envahissantes sont donc aussi diversifiés que majeurs.

Enjeux économiques
Enjeux écologiques
Enjeux sanitaires

Biblio graphie

[1] IPBES (2019): Global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. E. S. Brondizio, J. Settele, S. Díaz, and H. T. Ngo (editors). IPBES secretariat, Bonn, Germany.
[2] https://inpn.mnhn.fr/programme/especes-exotiques-envahissantes
[3] https://ec.europa.eu/jrc/en/science-update/assessing-economic-cost-invasive-alien-species
[4] IUCN French Committee. 2018. Making use of invasive alien species settled in natural environments. An effective approach to management? An initial analysis and discussion of points requiring attention. France. 84 pages.
[5] Comment se porte la nature dans les Hauts-de-France ?
[6] INPN 2019. La biodiversité en France—100 chiffres expliqués sur les espèces. UMS PatriNat (AFB-CNRS-MNHN), Paris, 48 p.
[7] Essink, Karel and Oost, Albert Peter 2019. How did Mya arenaria (Mollusca; Bivalvia) repopulate European waters in mediaeval times?. Marine Biodiversity, Vol. 49, Issue. 1, p. 1.
[8] Westphal, M.I., Browne, M., MacKinnon, K. et al. The link between international trade and the global distribution of invasive alien species. Biol Invasions 10, 391–398 (2008).
[9] De Poorter, Maj. Menace en mer, les espèces exotiques envahissantes dans l’environnement marin. IUCN, 2009, 30 p.

[10] IPPC Secretariat. 2005. Identification of risks and management of invasive alien species using the IPPC framework. Proceedings of the workshop on invasive alien species and the International Plant Protection Convention, Braunschweig, Germany, 22-26 September 2003. Rome, Italy, FAO. xii + 301 pp.
[11] https://www6.paca.inrae.fr/gafl/content/download/3494/37325/version/1/file/Histoire%20tomate%20et%20piment.pdf
[12] Shi, J., Luo, Y., Zhou, F. et al. The relationship between invasive alien species and main climatic zones. Biodivers Conserv 19, 2485–2500 (2010).
[13] https://evolution.berkeley.edu/evolibrary/news/141106_iceplant
[14] Preference and Prey Switching in a Generalist Predator Attacking Local and Invasive Alien Pests. Coline C. Jaworski, Anaïs Bompard, Laure Genies, Edwige Amiens-Desneux, Nicoles Desneux. PLoS One. 2013;8(12): e82231. Published online 2013 Dec 2.
[15]  Williamson, M. & Fitter, A. (1996a), The varying success of invaders. Ecology, 77(6).
[15b] Williamson, M. & Fitter, A. (1996b), The characters of successfull invaders. Biological Conservation 78, 163-170